Riche d’une longue expérience en tant qu’entraîneur, sélectionneur, éducateur, consultant et analyste en football, Mourad Ouardi donne du crédit au sélectionneur national, Vladimir Petkovic. À l’aube de deux compétitions majeures, il est temps pour les Verts de dévoiler un visage plus rassurant et de montrer toute leur valeur sur le terrain. Décryptage…
Entretien réalisé par Hamid Si Ahmed
Pouvez-vous nous décrire la physionomie générale du match contre la Somalie ?
Grosso modo, une très bonne ambiance, un stade archi-comble, il y a eu du répondant de la part des supporters et une organisation fluide. Je crois que c’était pratiquement l’attente d’une qualification en phase finale de la Coupe du monde. Suite à la dernière déconvenue, il y a eu une petite réaction, même si l’adversaire n’a pas montré beaucoup de choses. On a senti, quand même, une équipe nationale crispée, qui n’a pas montré tout son talent. Le résultat était là, mais les joueurs ont privilégié les résultats, plutôt que le contenu. Je me dis que peut-être l’équipe nationale a géré ce match, tout en pensant au dernier. C’est une délivrance. Il y a une dernière station, celle de l’Ouganda, même si c’est un match qui n’a aucune importance. À mon avis, Petkovic veut terminer ces éliminatoires en récoltant 25 points sur les 30 en jeu. Je crois que c’est une bonne récolte.
Cette qualification suffit-elle, selon vous, à faire oublier les performances décevantes de l’équipe lors des derniers matchs ?
On est premiers du groupe, et une victoire sur l’Ouganda nous donnera 25 points. Amoura est parmi les meilleurs buteurs et notre attaque est bien classée. Cependant, je dirais qu’il n’y a pas eu l’art et la manière, on ressent un goût d’inachevé. Nous aurions aimé joindre l’utile à l’agréable. Le supporter algérien, connaisseur, sent bien que c’est peut-être la peur qui a fait perdre à l’équipe sa manière de jouer. Espérons que Petkovic retrouvera vite cette verve et cette dynamique. Les joueurs ont des ressources et doivent démontrer leurs capacités, maintenant que la qualification est acquise. L’effectif regorge de talents et d’étincelles, à Petkovic de donner le ton. Il manque cette « grinta », cette volonté de conquête qui nous a fait défaut contre de petites équipes. L’EN cherche la sérénité et veut prouver qu’on peut compter sur elle. C’est tout le travail que Petkovic doit mettre en œuvre.
Le scénario aurait-il été différent si le groupe de l’Algérie avait été plus relevé ?
N’oubliez pas que le Cameroun, le Mali, l’Afrique du Sud et le Nigeria sont pratiquement… éliminés. Des équipes de gros calibre qui sont sorties. Face à de petites équipes, parfois, on se met dans nos petits souliers, comme si c’était acquis avant l’heure. Ce qui est sûr, c’est que la démonstration de ces derniers matchs soulève quelques interrogations. L’équipe ne donnait plus cette assurance, même en gagnant. Le football est ainsi fait. Ceux qui peuvent changer les choses, ce sont Petkovic, ses joueurs et son staff.
Petkovic a-t-il réellement la capacité de métamorphoser cette équipe ?
C’est une question très difficile ! Je ne suis pas Petkovic, je ne sais pas comment il va réagir, comment il travaille, quelles sont ses forces et ses faiblesses. Chaque entraîneur a ses capacités. Maintenant, Petkovic, ce n’est pas un novice, il a une carte de visite. C’est vrai qu’on a un petit peu peur, au vu des dernières prestations, et Petkovic ne peut pas fuir la réalité. Un match de football, ce n’est pas quelque chose qu’on peut cacher. Il est vu par tout le monde, et les spécialistes se posent des questions. Et le seul qui a la véritable réponse, c’est Petkovic.
Compte tenu du bilan mitigé, estimez-vous que Petkovic mérite toujours la confiance qu’on lui a accordée ?
La confiance, elle est dans le choix de l’entraîneur, ce n’est pas au fur et à mesure. Les questionnements des uns et des autres, moi je dirais qu’ils sont logiques, et chacun y va de sa propre analyse. Et le seul qui est au-devant de la scène, c’est l’entraîneur. Est-ce que réellement il a le potentiel pour mener à bon port cette équipe ? C’est son employeur, en l’occurrence la FAF, qui peut le déterminer. C’est à partir d’une confiance qu’on signe un contrat. Vous allez me dire : quels sont les objectifs après cette qualification ? C’est de faire ce que le prédécesseur de Petkovic n’a pas fait. Mais je pense que cela va au-delà du relationnel. On a besoin d’un peu de sérénité, et laisser le sélectionneur faire valoir ses compétences. Petkovic est là, et à l’approche de deux compétitions importantes, il ne faut pas aller dans l’inconnu et la précipitation, vers des situations délicates, voire catastrophiques.
Cette défiance de l’opinion publique n’est-elle pas tout simplement la conséquence des déceptions passées ?
Écouter X ou Y, c’est ne rien comprendre à ce métier. L’analyse ne doit pas cibler uniquement l’entraîneur. Le sélectionneur est venu dans la continuité, sans reconstruire. Ce sont quasiment les mêmes joueurs, éliminés trois fois. Relooker l’équipe ? Le temps manquait. On ne choisit pas un entraîneur à l’aveuglette, il doit avoir tous les ingrédients. Les joueurs sont parfois fatigués, certains ne jouent plus en club ou évoluent dans des championnats arabes. Mais il ne s’agit pas que d’individus, c’est un travail collectif. L’équipe nationale a besoin d’une projection et doit évoluer pour bâtir le futur. On a vu Maza et Hadj Moussa démontrer leur place. On a senti un collectif, une volonté. Certaines critiques sont justes. Espérons que le sélectionneur trouvera la formule. L’analyse doit être complète, pas pointer qu’un seul homme.
Voulez-vous dire que l’analyse des performances de l’équipe nationale doit prendre en compte une multitude de paramètres, bien au-delà du seul sélectionneur ?
Oui, bien sûr. Il faut que tout le monde s’y mette. Il ne faut pas jeter toute la charge sur le sélectionneur, uniquement, dans les moments difficiles. Il faut qu’il y ait de la sérénité. Si le sélectionneur n’est pas serein, ce sera une démonstration négative envers ses joueurs, dans son comportement, dans sa manière de diriger.
Le problème est donc un ensemble de facteurs ? Comme l’état d’esprit, la forme physique et la gestion tactique…
Écoutez, parfois, il y a des moments où on est au creux de la vague. Pendant 35 matchs, tout le monde clamait une équipe qui ne perdait pas. On ne s’attendait pas à ce que cette équipe sorte dès le premier tour en Coupe d’Afrique. Le football, parfois c’est ça. Maintenant, est-ce qu’il y a la qualité des joueurs ? Est-ce qu’ils sont en forme ? Est-ce qu’il n’y a pas de problème de groupe ? Tout cela rentre en ligne de compte. Le football, c’est le relationnel, c’est toi, moi, les autres, c’est un collectif. Et le collectif, c’est un mental, c’est un esprit. On dit très souvent « l’esprit de jeu », et quand cet esprit manque, c’est pratiquement une machine qui n’est pas bien huilée.
Votre analyse semble nuancée. Restez-vous, malgré tout, confiant et serein quant à l’avenir de cette équipe ?
Il faut qu’il y ait cette sérénité. Le Brésil, chez lui, a été battu. Cela veut-il dire que les Brésiliens ont perdu leur football ? Maintenant, il faut cerner les problèmes. Notre équipe est qualifiée, c’est tant mieux, et dans le football, parfois, on s’étonne. Oui, il y a des imperfections…
Faut-il accorder à l’entraîneur un droit à l’erreur, compte tenu de ce manque de profondeur de l’effectif et du temps limité ?
Est-ce qu’on a une autre équipe ? Non, on a ces joueurs-là, on a une liste élargie. On n’a pas un choix terrible, et même si on avait le choix, le temps il est compté. On ne peut pas fabriquer une équipe juste comme ça.
Un éventuel échec à la prochaine CAN signifierait-il la fin d’un cycle ? L’équipe a-t-elle la capacité de se relever rapidement ?
Il ne faut pas aller trop vite en besogne. Je vais vous dire une chose : une équipe nationale qui se relève ou pas, ce n’est pas l’affaire uniquement de l’entraîneur, c’est une affaire de politique générale du football. On joue comme ça, on a une équipe qui est là. Toutes les équipes peuvent tomber et se relever, le plus important, c’est de savoir se relever. Par le passé, l’équipe a montré de très belles dispositions, a surclassé beaucoup d’équipes. On ne s’attendait pas à ce que l’EN remporte la Coupe d’Afrique. Personne ne donnait cher de notre sélection. Notre équipe est motivée pour la Coupe du monde, mais il y a beaucoup de choses qui rentrent en compte. Alors, il ne faut pas tout de suite tirer des enseignements à la va-vite et négatifs. Il faut prendre le positif et combiner tout ça. Corriger le tir, avant l’heure.
H. S-A.
