Parmi les figures les plus respectées du judo algérien, maître Benikene (6e Dan), dresse un constat sévère sur l’état de cette discipline en Algérie. Ancien champion national, entraîneur et dirigeant de haut niveau reconnu, actuellement au Champions Sportifs El Biar (CSEB), il partage un bilan assez alarmant…
Entretien réalisé par Hamid Sid Ahmed
Pouvez-vous nous décrire une journée type au club ? Quelles sont vos principales responsabilités ?
En plus de l’entraînement, nous avons un travail d’équipe et de préparation. Donc il y a lieu de veiller à l’élaboration des fiches de séance, préparer la salle ou éventuellement le terrain où doivent se dérouler les entraînements, et faire une coordination avec les entraîneurs. Tout en essayant de donner un coup de main sur le plan administratif.
Quel est le projet sportif et éducatif du CSEB ?
C’est d’articuler le principe de « rechercher l’excellence ». L’excellence dans la préparation, l’entraînement et les résultats. Le club est composé dans son ensemble d’anciens sportifs qui ont atteint le niveau international. Ils se sont regroupés au sein de ce club, pour aider la jeunesse banlieusarde d’El Biar, et autres, à se développer et émerger dans cette discipline tant aimée par les Algériens. En plus de la recherche de l’acquisition des compétences techniques, nous visons en premier lieu la formation du citoyen, la formation de l’homme. À la formation de l’Algérien, sous tous ses angles, en particulier en respectant le code moral du judo, sa discipline et son sérieux.
En observant ces jeunes, qu’est-ce qui vous rend optimiste pour l’avenir, et, à l’inverse, quelles sont les faiblesses les plus difficiles à corriger ?
Les jeunes Algériens sont à la recherche de milieux et lieux d’expression, aussi bien physiques que moraux. Cela est encourageant à plus d’un titre. Ça nous revigore, nous alimente et nous donne du courage pour aller de l’avant. Toutefois, le matériel l’emporte, c’est ce que nous voyons un peu partout. Certains athlètes maintenant recherchent des moyens offerts par d’autres clubs, ce qui fait qu’ils ne tardent pas dans les clubs formateurs.
Quel est le principal conseil, la leçon de vie que vous répétez à vos judokas ?
Les jeunes d’aujourd’hui sont formatés. Ils sont toujours à la recherche de la facilité, du gain facile, ils cherchent le résultat coûte que coûte. Cela ne répond pas à une base solide. C’est pour cela que nous veillons et nous essayons de leur inculquer la discipline. Compter sur soi, le courage, la persévérance dans l’effort. Ce n’est qu’avec la souffrance et l’endurance, que l’on peut réussir dans la vie.
Depuis notre dernier entretien, qu’est-ce qui a évolué positivement, et qu’est-ce qui stagne ou régresse ?
Malheureusement, nous constatons que rien n’a évolué. Bien au contraire. Les choses se dégradent et vont de mal en pis. Les responsables placent l’aspect financier en premier. Ce qui dégrade les relations, la formation, l’évolution et la recherche d’objectifs pour lesquels nous sommes censés converger.
À votre avis, quelles sont les raisons des échecs répétés ?
Chez nous, malheureusement, chacun pense avoir raison, chacun dirige à sa manière. Il suffit qu’il soit à un poste de responsabilité, et il ne tient plus compte des avis des autres. Alors que pour diriger une discipline sportive, il faudrait quand même travailler en collégialité. Consulter, écouter, particulièrement la base, les acteurs principaux, et ceux qui font la discipline. Malheureusement, chez nous, ce n’est pas le cas. Chacun croit détenir la science exacte.
Que pensez-vous du modèle de formation algérien par rapport à ce qui se fait actuellement ailleurs ?
En Algérie, nous avons des compétences, connues et reconnues, seulement, elles font peur. Leur émergence met en danger, selon les responsables, ceux qui sont chargés de la discipline. La preuve, nous avons des Algériens à l’étranger qui ont réussi. Et ici en Algérie, dans des petits clubs de petites wilayas, qui font un travail extraordinaire. Malheureusement, ils sont loin des pôles de décision. Ils sont noyés dans la masse.
Si vous aviez le pouvoir de changer une seule chose dans la structure du judo algérien, que changeriez-vous ?
Je pense que ce sont les textes qui permettent à certaines personnes d’arriver aux postes de commandement de cette discipline. Car c’est l’Assemblée générale, c’est la manière d’arriver à cette AG. C’est la composition et la composante de ces AG, qui malheureusement définissent le bureau ou l’équipe qui dirigera cette discipline.
En observant les grands championnats internationaux, qu’est-ce qui vous marque le plus ?
C’est la chance qui est donnée aux jeunes, qui ont toutes les possibilités de s’exprimer. Les nations ouvrent la porte aux talents pour s’exprimer au niveau le plus élevé.
Le judo algérien est-il en phase avec cette évolution ?
Malheureusement, le judo algérien n’est vraiment pas en phase. Il est en total décalage avec ce qui se fait au niveau mondial.
Beaucoup parlent de crise du judo algérien. Est-ce une crise passagère ou les symptômes d’un mal plus profond ?
Le judo algérien vit des crises voulues et réfléchies. Des crises que certains entretiennent parce que derrière, il y a des intérêts mesquins, de bas niveau. Donc, diviser pour régner. C’est ainsi que beaucoup de compétences sont écartées, et poussées à s’éloigner.
Selon vous, le judo algérien doit-il copier les modèles étrangers ou en inventer un qui lui soit propre ?
Durant ses années de gloire, 1970, 1980, 1990, le judo algérien était comparé au judo japonais. Les premières équipes nationales qui avaient effectué des stages de préparation au Japon, avaient ramené des méthodes vraiment japonaises, qui ont permis l’émergence de très grands champions de niveau mondial. Malheureusement, aujourd’hui, le judo est éparpillé, au point de ne plus le reconnaître.
Citez-nous des pays dont le judo a progressé ces dernières années…
On peut citer le Canada, le Portugal, des nations qui ont investi dans cette discipline et qui arrivent quand même à se faufiler et se placer sur les podiums mondiaux.
Les anciens peuvent-ils devenir des acteurs de la reconstruction, en dépit de la rigidité du système ?
Heureusement, les anciens peuvent apporter un plus au développement, à l’émergence et à la réussite du judo. Seulement, chez nous, ils sont considérés comme un fardeau, et on les fuit comme on fuit la peste. Parce que leur expérience, leur passé, leur nom et leur image font de l’ombre. Et là, on n’en veut pas.
Quelle est la cause principale qui, selon vous, freine l’émergence du sport en Algérie ?
Le sportif algérien a de tout temps été un combattant qui se bat jusqu’au bout, qui n’abandonne jamais, et qui a fait ses preuves dans toutes les disciplines. Seulement, ce qui empêche le sport d’émerger, pour reprendre une de mes devises, ’’ceux qui le servent sont peu, ceux qui s’en servent sont nombreux. Là est le malheur‘‘. Quand on voit que certaines salles sont fermées, alors que certains athlètes n’ont pas où s’entraîner. Certaines structures sont à l’abandon, alors que nous en avons grand besoin.
Y a-t-il, actuellement, un ou des judokas algériens en qui vous voyez un futur champion ?
La programmation des compétitions pour la saison 2025-2026 a été réduite au strict minimum. Donc nous allons assister au déroulement des Championnats nationaux par catégorie d’âge, et éventuellement aux compétitions de championnats par équipes, et de coupes d’Algérie. Sans plus, ce qui est vraiment minime, très réduit pour une nation comme l’Algérie, qui cherche l’émergence. Qui cherche à se positionner au niveau mondial. Les athlètes, il doit y en avoir. Le vivier est bien garni, le nombre y est. Seulement, ce n’est pas avec l’approche actuelle, la vision actuelle, que nous pourrons espérer atteindre des résultats, tels que ceux acquis dans le passé. Par Soraya Haddad, Bouyakoub Lyes, Amar Benyekhlef,.. Donc tout est à revoir. Si on veut les positionner, il faut prendre en charge ces athlètes, avec le sérieux et les moyens qu’il faut. Et dans des pays où ils pourront éventuellement progresser.
H. S-A.
