Son génie, s’il se révèle, sera de donner forme au… présent.
Un présent de transition, conscient de ses limites, mais porteur de continuité.
À son arrivée, j’avais réclamé une rupture nette. J’allais même plus loin, en écrivant que Petkovićfaisait du Belmadi sans Belmadi, le Belmadi de la phase déclinante, celui qui s’était figé dans ses schémas et enfermé dans ses symboles. Or, lorsqu’on rate le timing pour opérer des changements stratégiques, on finit toujours par les subir.
Par Hamel Dahmane
Aujourd’hui, le contexte a changé. Je dirais même : il est trop tard pour la rupture.
Certes, elle demeure nécessaire sur le fond, mais elle ne peut plus être envisagée qu’après le Mondial. Car entamer une rupture n’est pas un réflexe d’humeur :
C’est une démarche de conviction, fondée sur une analyse lucide et objective de la situation. Pendant des mois, on nous a saoulés avec le fameux « l’essentiel, c’est de gagner et de se qualifier » Cette obsession de faire mieux que Belmadi a aveuglé beaucoup d’observateurs, y compris les décideurs.
Le contrat signé en est la preuve : un service minimum : qualification au Mondial (dans un contexte où le nombre de représentants africains a doublé) et passage au premier tour de la CAN.
Des ambitions revues à la baisse
Des ambitions revues à la baisse pour une nation comme l’Algérie, où toute victoire ponctuelle sera désormais présentée comme un exploit. Même Bougherra tenait et tient encore le même discours lors des éliminatoires du CHAN : «L’essentiel, c’est de se qualifier, le rajeunissement viendra ensuite». Résultat : l’équipe nationale A’ a été éjectée sans que la moindre transition soit amorcée. Et ça continue.
Une approche ruineuse pour l’avenir du football algérien, fondée sur la procrastination et la peur du vide. À présent, à quelques encablures d’une Coupe du monde, le moment n’est plus indiqué.
Changer brutalement serait perçu comme de la casse.
On ne rase pas une maison tant que les fondations de la nouvelle ne sont pas posées. On ne démonte pas une équipe quand on n’a pas encore bâti celle qui doit prendre la relève. Et cette reconstruction, qui aurait dû être engagée dès le départ, n’a jamais été entamée de manière résolue, précisément quand le contexte y était favorable. Ceux qui, hier, répétaient à l’envi que « l’essentiel, c’est de se qualifier », découvrent aujourd’hui les vertus du renouvellement et de la transition générationnelle. Qu’ils aient au moins le courage et la décence, j’en doute, d’assumer leur suffisance, leur arrogance et leur aveuglement.
Ils ont agi en gamins impatients, incapables de penser au-delà du prochain score,
et veulent désormais faire croire que la reconstruction était leur idée depuis le début. Mensonge. L’histoire retiendra qu’ils ont préféré bricoler le présent plutôt que préparer l’avenir. Eh bien, disons-leur que c’est trop tard.
Il faudra attendre l’après-Mondial pour tourner la page et redéfinir le cap.
Cela dit, tout le génie de Petković aujourd’hui réside peut-être justement dans sa compréhension du momentprésent. Il sait que l’heure n’est pas à la casse, mais à l’équilibre. L’urgence n’est plus de trancher entre passé et avenir, mais de stabiliser la transition entre une génération en fin de cycle et une autre qui veut mordre.
Tactiquement, cela suppose une gestion fine des profils : confier aux anciens la mission de guider, de réguler et de temporiser ; libérer les jeunes dans les zones d’expression et de déséquilibre ; ajuster les structures pour que la complémentarité devienne la clé de voûte du collectif.
La CAN doit servir de passerelle, non de couperet
Un espace d’expérimentation maîtrisée où se tisse la continuité. Le véritable talent de Petković, s’il s’affirme, sera donc celui de fabriquer du présent. Un présent lucide, cohérent et conquérant, où l’expérience prépare la relève sans l’étouffer, et où le futur s’écrit dans la continuité, La rupture, encore une fois, attendra demain.
Elle est différée pour l’après-Mondial, comme si le temps, chez nous, servait à ajourner plutôt qu’à construire. À quelques encablures du Mondial, il serait presque tragique et douloureusement symbolique devoir Mandi, Mahrez, Bentaleb, Belaïli, Bounedjah, Atal et Bennacer, visages familiers de toutes nos épopées récentes, ne pas être du voyage. Mais c’est bien là le prix du temps qui passe, et des occasions manquées.
H. D.
