Vice-champion olympique du 5000 m aux Jeux olympiques de Sydney 2000, Ali Saïdi Sief est technicien supérieur en sport (TSS), actuellement entraîneur d’athlétisme et de triathlon, en charge d’athlètes internationaux algériens, mais également actif dans la commission olympique et membre à l’Assemblée générale au sein de la Fédération algérienne d’athlétisme. C’est pour nous parler des derniers JO de Paris 2024 que nous l’avons sollicité. Son bilan diffère de beaucoup de ses collègues, lui qui estime que les trois médailles algériennes sont synonymes de performances qu’il ne faut pas occulter.
Entretien réalisé par Nasser Souidi
Avec quarante-six-millions d’habitants, est-ce normal que l’Algérie n’ait gagné que trois médailles lors des derniers JO de Paris ?
Honnêtement, pour moi, trois médailles c’est déjà bien. Et puis, depuis l’Indépendance, c’est pratiquement le même nombre de médailles, parfois on en n’a eu aucune. Aussi, on ne peut pas se comparer aux pays qui ont eu beaucoup de médailles. C’est grâce aux autres sports, comme les sports aquatiques, le tir, et d’autres encore. Par exemple, la France n’a eu qu’une médaille en athlétisme. La même chose pour le Maroc qui n’a eu qu’une médaille d’or en athlétisme. Dans ce cas-là, si on parle du nombre d’habitants, l’Inde, avec plus d’un milliard d’habitants, n’a gagné que 6 médailles. Non, franchement, trois médailles, c’est bien. Les Jeux d’avant, on n’a rien gagné. En 2016, on n’a gagné qu’une seule médaille, de même qu’en 2012, avec le même athlète. En 2004, on n’a gagné aucune médaille. Je trouve même que trois médailles, c’est très bien. On n’a pas l’habitude d’en gagner une dizaine, pour dire que c’est un mauvais résultat. Mais c’est vrai que dans des sports comme la boxe, le judo et l’athlétisme, l’Algérie aurait pu en gagner plus. Il ne faut pas oublier aussi qu’un pays comme l’Espagne, n’est pas meilleur que nous en athlétisme. Ses médailles ont été gagnées par des athlètes cubains naturalisés.
Ne pensez-vous pas que si nous n’avons pas gagné plus de médailles, c’est en raison aussi de la non-participation de plusieurs disciplines ? Comme le football par exemple…
Je pense que l’Algérie ne pouvait pas avoir plus de participants aux JO de Paris. Il y a des sports où c’est hyper difficile et compliqué de se qualifier, comme le football.
Admettez-vous que si nos athlètes étaient mieux pris en charge, nos résultats auraient été meilleurs ?
C’est vrai qu’après, l’Algérie peut faire mieux. Mais pour ça, il faudra travailler encore plus au niveau des écoles, en revenant à la base et en misant sur de meilleures infrastructures. C’est clair. D’abord, réglons le sport au niveau de la base. C’est la base qui nous donnera nos futurs champions olympiques. Comme vous le savez, la formation est limitée au niveau associatif. Il faudra aussi se tourner vers le sport scolaire et restructurer les clubs avec des compétences qu’on devra bien prendre en charge, avec le strict minimum en termes d’infrastructures. Ce n’est pas compliqué.
Que pensez-vous, d’une manière générale, du niveau africain lors de ces jeux ?
Je pense qu’il a régressé. C’est le cas pour le Maroc, surtout en athlétisme et en sports individuels. La Tunisie, qui nous a habitués lors des éditions précédentes à des médailles, notamment en natation avec Oussama Mellouli, a aussi régressé. Je pense que le niveau africain, et même arabe, a reculé. Un pays comme Bahreïn a quasiment acheté des athlètes et a dû recourir à leur naturalisation. Des Russes, des Polonais, des Africains. Sans ces étrangers, l’Algérie aurait été première au niveau arabe. A part les Egyptiens, les Jordaniens aussi, qui se sont illustrés dans certains sports, comme les sports de combat, le taekwondo, l’escrime. Et certains pays du Golfe dans le tir. Mais en gros, le niveau africain était meilleur avant, d’une manière générale.
Plusieurs secteurs en Algérie souffrent de la fuite des cerveaux à l’étranger. Ne pensez-vous pas que si la gestion du sport ne s’améliore pas, ce secteur risquerait de connaître la fuite de ses meilleurs athlètes ?
C’est vrai que ça serait bien que nos athlètes soient mieux pris en charge. Après, un sportif qui veut évoluer et progresser à l’étranger, tu n’as pas le droit de le retenir. C’est vrai qu’en Algérie, nous avons un climat idéal, l’altitude, où l’athlète peut bien se préparer. Aussi, il faut l’admettre, un athlète d’élite sera mieux pris en charge à l’étranger. Mais cela n’empêche pas que nous avons des athlètes formés en Algérie qui sont devenus des champions du monde. Le plus important, pour moi, c’est que quel que soit l’endroit où nos sportifs évoluent, c’est qu’ils ramènent des titres et des médailles à l’Algérie.
Ne trouvez-vous pas qu’à travers les mésaventures d’Imane Khelif et Djamel Sedjati, c’est l’Algérie qui était visée ?
Visée ou pas, une chose est sûre, c’est que la Fédération internationale de boxe avait déjà sanctionné Imane Khelif, alors qu’elle allait remporter le titre. Cette fois-ci, le Comité olympique international a soutenu Khelif, en plus du grand soutien qu’elle a reçu de la part de toute l’Algérie et d’autres parties. Pour ce qui est de Sedjati, je pense que la perquisition de la gendarmerie, c’était normal. D’autres athlètes ont été contrôlés. Ce qui n’était pas normal, c’est l’article du journal ‘‘L’Equipe’’, qui a été par la suite repris par tous les médias du monde. Comme quoi il est visé, et tout. Ce n’est pas professionnel. ‘‘L’équipe’’ doit être poursuivie en justice pour avoir porté atteinte à la personne et à l’image de Sedjati.
Quels enseignements l’Algérie doit tirer des derniers JO de Paris en prévision des JO de 2028 ?
Les JO de 2028 sont pour bientôt. On doit mettre dès maintenant nos juniors dans de très bonnes conditions. On doit bien les préparer, ils ne doivent manquer de rien. On doit investir à cent pour cent dans nos juniors. L’entraînement doit être bien méthodique, il faut miser et bien exploiter les compétitions et les stages, avec un suivi rigoureux, même dans leurs études scolaires. En somme, comme le font les pays développés. En France, on prépare les athlètes huit (8) ans à l’avance. Ils bénéficient d’une prise en charge totale. Actuellement, en athlétisme, nous avons d’excellents cadets et juniors, qui sont sur la très bonne voie. Dans quatre (4) ans, sur sept (7), on pourra toujours en faire ressortir deux (2) champions. Après, c’est vrai qu’il faudra des moyens, que l’Etat et les responsables soient présents. Même les athlètes doivent faire preuve d’ambition et d’intelligence, et doivent croire en eux.
Pour finir, ne pensez-vous pas qu’il y a un certain déséquilibre dans la répartition des soutiens financiers publics entre les différentes disciplines ? Notamment au profit du football…
Tu ne peux pas comparer le football aux autres disciplines. Dans le monde entier, le football dispose des plus grands moyens. Parce que c’est le sport-roi, le plus suivi au monde. Cependant, en tant que membre de l’Assemblée générale à la Fédération d’athlétisme, je peux vous assurer que nos athlètes qualifiés aux JO de Paris, on leur a donné de grands moyens. On leur a donné de grosses sommes d’argent. J’ai personnellement vu les chiffres, et pour moi, ils le méritent bien. Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut pas dire qu’on ne leur a pas donné de moyens. Après, c’est vrai qu’au niveau de la base, il faut améliorer les choses. Il faut une chaîne et une complémentarité entre les sports scolaires, les clubs, les fédérations, le COA et le ministère. C’est vrai qu’au niveau de la base, ils manquent de moyens et de prise en charge. Les budgets associatifs sont faibles.
N. S.