Ancien footballeur professionnel, ancien mondialiste, et actuellement entraîneur, El Hadi Larbi sait de quoi il parle lorsqu’il pointe du doigt la mauvaise gestion de la formation en Algérie. Il nous en dit plus dans cet entretien, tout en abordant certains sujets de l’actualité footballistique algérienne.
Que devient coach El Hadi ?
Depuis qu’on nous a écartés de l’ISTS, on est en stand-by. Ça fait maintenant une année. Les clubs, sans citer les noms, on leur a donné plusieurs créneaux. Avant, j’avais trois ou quatre créneaux, mais après, je me suis retrouvé avec un seul créneau… de 11h à 12h, et le vendredi ! Cela, sachant que je payais vingt mille dinars par séance ! Je ne pouvais pas continuer, en entraînant les enfants uniquement une fois par semaine. Ils parlent de deux clubs d’élite. Et les enfants, on va les jeter dans la rue ? On pousse nos enfants à aller traîner dans la rue. Ce ne sont pas les clubs qui vont former des enfants de six ans. Mais que voulez-vous, on a préféré ces clubs, au détriment de la formation et de l’éducation des enfants. Vous trouvez ça normal ?
Et pourtant, la formation est le premier obstacle qui empêche l’éclosion de notre football…
De quelle formation vous parlez ? Ils arrivent en junior, après on les renvoie. Et ça se passe comme ça dans toutes les disciplines, pas uniquement le football. Ceux qui travaillent convenablement, ce sont ceux qui pensent aux enfants. Pas ceux qui pensent uniquement à l’argent. A quinze, seize ans, après huit ans à l’entraîner, tu lui dis de partir. Où veux-tu qu’il parte ? C’est à toi de l’orienter et de lui trouver un club. Dans les académies, chaque année il paye vingt-cinq à trente millions, après, quand il arrive en minime ou en cadet, tu lui dis de partir ? Tu dois le suivre jusqu’à le caser dans un club.
Que proposez-vous comme alternative à ces dysfonctionnements ?
Mon projet, c’est qu’à l’âge de six, sept, huit ans, jusqu’à l’âge de treize ans, en minime, qu’on organise des tournois au niveau national. Comme ça, les clubs pourront constater et voir le niveau des jeunes. Et c’est comme ça que ces jeunes pourront signer dans des clubs. Je pense que c’est comme ça que notre football va évoluer. Mais malheureusement, les présidents de club ne travaillent qu’avec les seniors, et c’est tout.
En tous les cas, les clubs, quand ils daignent recruter des jeunes, c’est dans les académies qu’ils puisent. Il y a une association, qui se nomme Sahel, à Souk El Ténine, à Béjaïa. C’est le pourvoyeur des clubs de la région, comme le MOB et la JSMB.
C’est certain, la formation, c’est tout un art…
Je ne dépasse pas les vingt-cinq joueurs, dans chaque catégorie. Tu ne peux pas travailler avec une cinquantaine d’enfants. Dans ces cas-là, il te faudra un grand espace, pour pouvoir, déjà, faire des matchs six contre six. Parce qu’à six ou sept ans, tu commences à apprendre à l’enfant à taper dans le ballon et à jouer, avant qu’il arrive aux A, B, C. Avant qu’un enfant n’arrive en minime, tu dois même lui apprendre la communication. La formation, ce n’est pas faire courir un enfant n’importe comment, sans objectif, après il part chez lui.
Et puis, faire s’entraîner plusieurs catégories sur le même terrain, ce n’est pas sérieux. Soit je prends tout le terrain, soit ça n’en vaut pas la peine. Au pire des cas, tu peux diviser le terrain en deux catégories, mais pas en six ou huit catégories. Un footballeur, il doit s’entraîner sur un terrain de cent mètres, pas sur un terrain de hand-ball. Après, on s’étonne quand on voit des joueurs incapables de jouer sur un vrai terrain et tenir quatre-vingt-dix minutes…
Est-ce vraiment une question de moyens ?
Au contraire, c’est aujourd’hui qu’on a les moyens. Seulement, il faut ramener des gens compétents, qui veulent travailler, qui veulent réussir dans leur travail et qui veulent que ces enfants réussissent et deviennent plus tard des joueurs d’élite. Ramener des entraîneurs qualifiés, des bosseurs, à condition aussi de bien les payer. Ne pas ramener des entraîneurs qui apprendront le métier sur le dos des enfants. Si un entraîneur exige telle ou telle somme, il doit les justifier.
Certaines écoles participent à des stages à l’étranger. C’est une bonne chose, n’est-ce pas ?
Certes, mais n’oublions pas que ce sont les parents qui payent la prise en charge de leurs enfants. Et puis, si c’est pour faire du tourisme, ce n’est pas intéressant. Ce n’est pas juste pour le plaisir de participer à un tournoi en Europe. Une académie qui participe à ce genre de tournois, les enfants doivent être bien préparés pour faire bonne figure. Écoutez, la plupart ont ouvert des académies pour se faire de l’argent. Tout est question de business.
C’est pour cela qu’on considère le Paradou comme unique club qui fait de la vraie formation…
Quand le Paradou joue au 5-Juillet, tu vois le jeu académique. D’ailleurs, quand ils jouent au 20-Août ou à Dar El Beida, ses joueurs ne savent plus jouer. Au 5-Juillet, le PAC n’aurait pas perdu face à l’O Akbou et la JSK.
Pourquoi on ne fait pas comme certains pays africains qui excellent dans la formation ?
Dans ces pays, ce sont des écoles privées françaises et européennes. Les techniciens étrangers s’installent dans ces pays et font un travail remarquable. Nous, on se contente d’acheter des franchises. Après, on dit que Barcelone s’est installé en Algérie. Pour moi, c’est uniquement du commerce.
Que pensez-vous du niveau actuel du championnat ? Avez-vous constaté une quelconque amélioration ?
Quand tu vois une journée avec deux ou trois bons matchs, et la prochaine journée avec zéro match plaisant, que voulez-vous que je vous dise, je ne pense pas que le niveau se soit amélioré. Le match d’Akbou contre Chlef, de même CRB-USMA, circulez, y a rien à voir. Deux matchs m’ont plu, si on peut dire. JSK-MCA à Tizi Ouzou, et JSK-CSC à Tizi Ouzou. Pourquoi, l’état du terrain, tout simplement.
Un mot sur le niveau de l’équipe nationale actuellement ?
L’EN s’améliore de match en match. J’ai constaté que le sélectionneur a bien bossé la tactique. Maintenant, tout dépendra du choix des joueurs et du volet discipline.
Et le parcours des clubs algériens en coupes africaines, qu’en pensez-vous ?
Franchement, avec ces résultats, je ne suis pas optimiste. Ce n’est pas avec ce niveau qu’on arrivera en demi-finale. Ce n’est pas avec le niveau des matchs qu’on a vu qu’on va concurrencer le niveau africain ou maghrébin. Notre niveau est trop bas. Quand j’ai vu les recrutements du MCA, de l’USMA, du CRB, la JSK et le CSC, franchement, je m’attendais à mieux.
Quel est votre message pour les lecteurs d’Info Sport ?
Inch’Allah, que le football revienne à ses enfants, comme on dit. Ceux qui ne font pas du social. Le football aux footballeurs, le handball aux handballeurs, et ainsi de suite. Ramener certains anciens, des personnes compétentes dans la gestion, dans l’administration. Et ce n’est pas à l’Etat de financer les clubs, les clubs doivent créer de la richesse. Ramène des sponsors, débrouille-toi. S’il n’y a pas de subventions de l’Etat, les joueurs font grève…
Parce que notre football chute de plus en plus…
Si un projet sérieux se présente à vous, êtes-vous prêt ?
Soit à mon niveau, ou dans des clubs, si on a besoin de mes services, je serais toujours prêt. On n’est pas là pour l’argent, mais pour le football. C’est vrai que tout travail mérite salaire, mais en parallèle, pour bien dormir la nuit, être satisfait de ce qu’on réalise durant les entraînements, on doit se donner à fond.
« En n’accordant pas assez d’importance et de considération à la formation, en négligeant nos enfants, on les pousse à aller traîner dans la rue »
« Ce n’est pas normal qu’une académie forme un enfant jusqu’en minime ou cadet, après elle le renvoie, sans l’assister et le suivre pour trouver un club où signer »
« On ne peut pas former un footballeur sur un terrain de hand-ball »
« L’Algérie a les moyens, il faut juste des gens qui veulent travailler et réussir, qui veulent que ces enfants réussissent et deviennent des joueurs d’élite »
« Petkovic a bien bossé la tactique, tout dépendra maintenant des joueurs et de la discipline du groupe »
« Nos clubs en coupes africaines ? Ce n’est pas avec ce niveau qu’on arrivera en finale »
Entretien réalisé par Nasser Souidi