Kamel Benakil, ancien joueur du CRB et de la JSEB, évoque avec émotion ses années à El Biar, où il a connu « un accueil extraordinaire ». Formé par des légendes comme Lemoui, il déplore le déclin de la formation en Algérie. Optimiste malgré tout, il prône la rigueur à long terme pour relancer le football national.
Entretien réalisé par Nasser Souidi
Pouvez-vous nous retracer votre carrière ?
J’ai eu le privilège de côtoyer de très grands joueurs, le grand CRB de l’époque. Les Lalmas, Kalem, Selmi, Hamiti, que du bonheur ! Ensuite, je suis allé à la JSEB. Mais en fait, ce que je retiens de ma carrière footballistique, ce sont les années que j’ai passées à la JSEB. J’ai été accueillie comme un prince, c’était comme une famille, c’était extraordinaire ! J’ai eu comme entraîneur Abderrahmane Ibrir, ensuite Oualiken et Lemoui. J’ai été bien accueilli par la population d’El Biar, et aujourd’hui, quand je viens à Alger, le premier endroit où je vais, c’est à El Biar. Voilà ce que je retiens le plus affectivement.
Quels sont vos meilleurs souvenirs en tant que joueur ?
Même si j’ai côtoyé les plus grands, les Boudjenoun et Zitouni, c’est à El Biar… C’est à la JSEB où j’ai été le plus heureux. J’ai joué quand-même avec Saâdane, avec Soukhane, ce n’est pas rien. J’ai été accueilli par un grand monsieur, IssaadDhomar, qui a fait énormément pour le foot et pour les El Biarois, professionnellement et dans n’importe quel domaine. C’est lui qui est venu me chercher au CRB, c’était un grand monsieur. Il a aidé tout El Biar !
Vous avez même joué à l’étranger. Racontez-nous…
Dans un premier temps, je suis parti à Paris, mais je n’y suis pas resté longtemps. Ensuite, je suis allé en Allemagne, en deuxième division à l’époque. Il faisait froid…j’ai arrêté très tôt. Après, je me suis mis au commerce. Et c’était le bon moment.
La formation des jeunes est souvent critiquée en Algérie, alors qu’en France, où vous vivez actuellement, les clubs ont des centres de formation professionnels. En Algérie, on a quoi ?
En France, il y a eu un club précurseur, c’était le FC Nantes, dans les années soixante, c’était le plus grand club formateur avec le plus d’internationaux français. Les Michel, Pech, Blanchet. L’AJ Auxerre a pris le relais, et ensuite Lyon. Mais ce n’est plus tellement le cas aujourd’hui. L’OL, avant son rachat par l’Américain John Textor, le club avait pour président Aulas, qui a sorti Ben Arfa, Benzema, Cherki, Aouar, et j’en passe. C’était un très bon centre de formation. D’ailleurs, dans l’équipe de Lyon, il y a eu les Gonalon, sept ou huit joueurs issus de la formation.
Mais en France, aujourd’hui, le foot est devenu du business. Au PSG, ils ont très peu de joueurs issus de la formation. Il y a Rabiot, qui est à Marseille.
Quand tu vois tous les joueurs du Bayern, tu as sur 15 joueurs, quatre ou cinq au maximum, issus d’autres clubs. Mais mon modèle c’est le Barça. C’est Cruyff qui a créé le système de La Masia. Des minimes jusqu’au seniors, ils jouent de la même façon. Et ça a perduré jusqu’à aujourd’hui, en commençant par Guardiola, Luis Enrique, et maintenant l’Allemand. Le Barça, ça va être le club des dix prochaines années. La moyenne d’âge du Barça, c’est hallucinant !
Quand on voit Barcelone, tous les joueurs, comme Yamal, Pedri, pratiquement toute l’équipe sort de La Masia.
Par contre, pour ce qui est de l’Algérie…
Un écart immense, n’est-ce pas ?
Quand je regarde des matchs à la télé, … Je trouve que c’est soporifique. Cela dit, il y avait un homme, Allah yarahmou, c’est Kamel Lemoui, qui a fait beaucoup de bien à la JS El Biar. Il a créé une école de foot, mais qu’on n’a malheureusement pas suivie. Vous savez, quand il y a quelqu’un qui sort du lot, on fait tout pour le casser ? Kamel Lemoui, c’est un modèle, le précurseur de la formation. Vraiment, vraiment, demandez à Djamel Touafek il vous le confirmera.Il a formé les Menad, Allah yarahmou, les Bouiche et autres. D’ailleurs El Biar, c’était un foyer de grands joueurs. Les BachiZoubir, Moha, Allah yarahmou. Il y avait l’entraîneur Zitouni, Allah yarahmou qui avait commencé avec l’USMA, mais il est mort trop tôt. En tous les cas, il n’y a plus de formation en Algérie. Il n’y a qu’à voir l’EN, c’est tous des expatriés.Après, nous, on jouait pour le maillot. C’est mon point de vue, c’est mon ressenti. Quandmême, les sommes offertes aux joueurs aujourd’hui, c’est indécent !
Comment expliquez-vous que malgré les talents individuels, les clubs algériens peinent à briller en Afrique ?
A l’époque, les dirigeants étaient bénévoles. Ils donnaient de leurs poches, de leur temps, de tout. Aujourd’hui, c’est des salariés, bon, ce n’est pas plus mal, je ne suis pas contre. Mais ils pensent plus à l’immédiateté. Je peux me tromper, mais je pense que mis à part le Paradou, la formation n’a jamais existé. En Algérie, il y a beaucoup d’argent qui circule, beaucoup de pression sur l’équipe, sur les joueurs. J’ai assisté en 2022 à un match, CRB-USMA, franchement j’ai eu honte. Je n’aurais pas emmené mon fils, ou mon frère, avec toutes ces insultes. Je parle des supporters. Au CRB, ils mettent de la pression sur les dirigeants, des insultes. Je ne sais pas à quoi c’est dû. Même à Montpellier, j’ai pris du recul sur le football, je préfère voir du rugby, tu vois des familles avec des bébés…
En parlant de formation en Algérie, il y a aussi le manque d’infrastructures…
Il y a ça, mais aussi, le fait que les compétences dignes de ce nom, à chaque fois, sont mises de côté. Au Barça, les mêmes formateurs ont duré vingt, trente ans. Si tu veux vraiment faire de la formation, il faut que tu travailles à long terme. L’AJ Auxerre a tenu très longtemps, grâce à son école. Ils vendaient des joueurs, mais avaient toujours des jeunes pour les remplacer. Mais quand-même, il y a eu Khabatou Allah Yarahmou, c’était quelqu’un qui était pour la formation, c’est lui qui a sorti les Selmi, les Bachta, les Aït Mesbah, et les Berroudji, à l’OMR. A l’époque, dans les années 60, c’était une grande école de formation. Aujourd’hui, les gens de talent qui veulent vraiment travailler, il en existe. Mais ils sont mis de côté, comme Djamel Abrouk. Pourquoi on ne fait pas appel à lui ? Je suis sûr qu’il serait prêt à venir et à travailler ici. En fait, ils font comme en France, où ils font plus confiance à l’entraîneur étranger, alors qu’en France, les entraîneurs de grande qualité existent. La seule réussite, c’est Luis Enrique.
La saison prochaine débutera le 21 août, la durée de préparation des équipes sera donc assez courte. Pensez-vous que ce calendrier serré pénalisera la préparation des clubs ?
En effet, la préparation est dès le départ tronquée. Mais il y a autre chose, je ne sais pas si je me trompe ou pas, la saison d’après se prépare un an avant, et à une date précise. Ici, tu ne sais pas quand ça va commencer et quand ça va finir. Les championnats européens sont tous finis, pourquoi ne pas faire pareil ? Moi je me rappelle qu’on jouait fin août, mais on s’arrêtait début juin.
Que pensez-vous de la sélection nationale actuelle ?
On a quand-même une grande équipe avec de grands joueurs, depuis quelques années, même s’il y a des baisses de régime. Mais à la différence de ce qu’a fait le Maroc en Coupe du monde. Ils ont tout compris ! Quand tu vois Hakimi, c’est le meilleur arrièredroit du monde. C’est vrai qu’il est sorti du Real Madrid qui l’a vendu à l’Inter. Les structures au Maroc, c’est vraiment top, d’ailleurs; le Maroc va organiser la Coupe du monde. Ils ont eu des gens comme Henry Michel, de grands entraîneurs qui ont travaillé sur les structures, et la Fédération marocaine les suivait. Ici, ça a commencé après l’indépendance, il y a eu les Kermali et Khalef, mais ce genre de personne sont mises de côté. Il y a la politique qui s’immisce dedans. Même Saâdane en 86, on lui a imposé des joueurs.
On peut dire que vous êtes pessimiste pour l’avenir du football en Algérie ?
Non, il ne faut pas être pessimiste. Loin s’en faut, au contraire. Ils vont y arriver un jour, mais il faut du temps, il faut changer l’état d’esprit, certains comportements. Une organisation avec beaucoup de rigueur, et c’est ce qui manque. Moi je suis de nature optimiste et j’espère que l’Algérie dans ce domaine sera un jour un modèle. Parce qu’il y a les moyens, seulement, il faut les utiliser d’une manière différente.
Un dernier mot avant de se quitter ?
Je voulais juste saluer mon ami Djamel Touafek, un monsieur que j’apprécie beaucoup. Toujours souriant malgré sa pathologie. Il ne se plaint jamais, jamais ! Djamel c’est un dur à cuire avec un cœur en or.
N. S.
