28 octobre 2025

Kamel Benmesbah : « Les intérêts ont étouffé toute ambition sportive et scientifique »

Professeur émérite à l’Institut des STAPS de l’Université Alger 3, Kamel Benmesbah est également entraîneur national de l’équipe universitaire. Fort d’une expérience de formateur depuis 1990, il a collaboré avec plusieurs clubs prestigieux, dont l’IRB Casbah, le RCK, le MCA, l’USMH et l’ESDAT. Docteur en méthodologie de l’entraînement et licencié CAF A, il exerce aussi en tant que journaliste sportif, sa plume est suivie, le monsieur est très perspicace dans ses analyses.

Entretien réalisé par Nasser Souidi

Comment analysez-vous les performances de Petkovic en prévision de la CAN 2025 et des éliminatoires pour le Mondial 2026 ? 

Mis à part le faux départ en éliminatoires de la Coupe du monde face à la Guinée avec une défaite à domicile, le parcours des Verts est positif. Toutefois il ne faut pas s’enflammer car l’Algérie n’a pas encore rencontré les meilleures sélections d’Afrique. L’équipe est toujours en construction après l’ère Belmadi. Petkovic a su redonner une âme à cette équipe après une période de turbulences et de doutes. L’équipe nationale revient de loin et Petkovic a le mérite de faire dans la continuité sans se soucier de l’ambiance qui prévalait à sa venue. Il a su ressouder le groupe et motiver les joueurs, et la coupe d’Afrique 2025 sera l’occasion de juger les potentialités de ce groupe. Pour le Mondial, il est question d’aller le plus loin possible.

Depuis le départ de Biskri de la DTN, en 2024, avez-vous observé des améliorations dans la formation des jeunes ?

Tout d’abord, la FAF sous l’ère Sadi n’a pas donné une chance à Mustapha Biskri, pour aller jusqu’au bout de son projet. Il avait tout juste le temps de mettre en œuvre son approche qui était bien réfléchie et basée sur la formation, en comptant sur le potentiel local. Je pense qu’il avait suffisamment d’expérience et de savoir-faire scientifique pour mener à bien sa mission. Hélas, cette mission a été écourtée pour des raisons qui n’ont jamais été exposées à l’opinion publique. Quant à la nouvelle DTN, je pense qu’il faut lui donner le temps nécessaire. J’espère que le nouveau DTN apportera le plus attendu de lui. Je leur souhaite une bonne entame sans exigences de résultats immédiats, il faudra du temps et de la patience, tout en sachant que le grand chantier est au niveau des clubs. 

Cette saison, le MOB a retrouvé la Ligue 2, cela confirme ce que vous disiez sur Biskri…

Et c’est grâce au travail effectué par son staff technique constitué de Biskri, Mokhtar Hariti et Malek Biskri qui est le frère de Mustapha. C’est une juste récompense pour Mustapha, qui n’a pas eu le mérite qui lui est dû au niveau de la FAF. C’est la science qui a triomphé ! Vous trouvez normal qu’un tel staff exerce en Inter-régions ? Biskri, Bouarrata, Bira, Charef, Mihoubi, Abbas et Boudjarane, pour ne citer que ceux-là, ne sont pas sollicités par les clubs de l’élite. Pourquoi ? Leur profil n’arrange pas les plans des présidents et des managers. Sans oublier notre collègue Mohamed Mana, qui a réussi une belle accession en Ligue 1 avec l’ES Ben Aknoun.

Le Paradou et d’autres écoles peinent à exporter des talents. L’académie algérienne est-elle en panne ?

La formation en Algérie est une chimère ou un gros mensonge. Les clubs ne forment plus et font semblant de le faire, et continuent à profiter des mannes financières allouées par l’Etat. Nos clubs professionnels ou amateurs sont des coquilles vides. Pour faire de la formation, il est indispensable de mettre au service des jeunes les moyens et les exigences d’un travail sérieux. Cette absence des joueurs de moins de 20 ans parmi les équipes de l’élite, ce n’est pas normal. Nos footballeurs ont presque tous le même niveau très moyen. Et même l’arbre qui cachait la forêt, le Paradou AC, ne fait plus de l’ombre. Pour les autres clubs, on est dans l’improvisation et la recherche des résultats immédiats. Le footballeur local souffre de carences sur tous les plans, par rapport à ce qui se fait au plan mondial.

Vous insistez sur la science en formation. Pourquoi les clubs algériens tardent-ils à l’adopter ?

Quand la formation n’obéit pas aux principes de la science du football, on ne peut plus parler de formation, mais de bricolage, d’anarchie et de déformation. Nous sommes à l’ère du numérique et des vérités scientifiques, et le sport en général est le carrefour des sciences. Est-ce qu’on s’est posé des questions sur notre sous-développement sportif alors que nous avons une masse très large de pratiquants ? L’Algérie est un pays de jeunes qui ne demandent qu’à être encadrés. Et avec la politique de “médiocrisation“ des talents, tout est fait pour mener le jeune sportif à l’échec. Quand on arrive au stade où l’on demande aux jeunes de choisir entre le sport et les études, il faut tirer la sonnette. Sans études et formation, on ne peut former ni un bon citoyen ni un champion. Les gestionnaires des clubs ne voient que la manne financière. Il n’y a qu’à voir le déroulement des compétitions de fin de saison, c’est du business dans sa forme la plus méprisable.

Certains clubs misent sur des entraîneurs algériens, d’autres sur des étrangers. Quelle est la bonne formule, selon vous ?

Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise formule, tout revient à la compétence du staff dirigeant des clubs. Comment peut-on douter un instant de la compétence d’un technicien local formé par des instituts universitaires spécialisés et qui, de surcroît, a réalisé des résultats sur le terrain ?  Je ne suis pas contre l’apport de techniciens étrangers, mais à condition qu’ils soient meilleurs que les locaux. Aujourd’hui, ce sont les managers qui décident du recrutement des entraîneurs, et même des joueurs. Vous trouvez normal qu’un coach comme Bouarata, pour ne citer que ce cas de figure, ne soit pas appelé à prendre les commandes d’une équipe de l’élite ? Les présidents préfèrent des entraîneurs dociles. Par contre, on assiste au recrutement d’entraîneurs sans aucune expérience. Avant il y avait cette barrière de Licence CAF À et CAF B, maintenant tout le monde a acquis ce quitus.

Où en est le projet de développement du futsal que vous pilotiez ? L’Algérie a-t-elle progressé ?

Mandaté par l’ex-DTN Biskri, pour piloter le futsal à la FAF, j’ai conçu un projet de développement et organisé une journée d’étude à l’Institut EPS d’Alger 3, en collaboration avec la DTN, la Ligue de futsal et des universitaires. Des actions similaires ont été menées avec la fédération du sport universitaire, ainsi que des réunions avec l’entraîneur national et le président de la Ligue pour structurer la formation et le championnat. Malheureusement, la FAF a bloqué mon contrat via son ex-SG, malgré une tentative ultérieure de relance avec un partenaire de la FAF. J’ai compris le message et me suis retiré sans faire de bruit. Était-ce une chasse gardée ? Peut-être. Résultat : le futsal algérien reste dépendant des joueurs expatriés, sans cadre viable pour les locaux.

La FAF a installé le collège technique national, est-il toujours actif ?

Sa première touche a été très pertinente en bloquant la proposition des présidents de clubs qui consiste à augmenter de 27 à 34 le nombre de joueurs licenciés dans les clubs professionnels et amateurs. Les techniciens sont montés au créneau pour dénoncer un procédé qui n’a d’autres objectifs que d’élargir la masse salariale pour en tirer profit. A ce sujet, il faut rendre hommage au coach Rachid Bouarrata qui a dénoncé l’aspect dangereux et mercantile de cette proposition. Il est vrai que nous sommes loin de l’ancienne génération de présidents qui travaillaient pour l’intérêt de leurs clubs respectifs, à l’image des défunts Diabi, Haraigue, Drif, Hannachi, Zaïm, Tahanouti, Kacem Limam, Lefkir, Ait Igrine, Kerbadj, Abdelkader Khalef… des présidents qui se donnent corps et âme à la gestion de leurs clubs. Il ne reste de cette lignée de présidents que Saïd Allik. Le mal de notre football est dans sa gestion administrative. 

L’université peut-elle sauver le football algérien ?

Le salut de notre football ne viendra pas des masses d’argent que l’Etat déverse sur le football qui est devenu budgétivore, mais par une politique de formation à tous les niveaux qui mettra sur le devant les connaissances scientifiques pour résoudre la problématique du sous-développement d’un football qui avait les moyens de régner sur l’Afrique et bien au-delà. Le football est certes un simple jeu, mais ses enjeux ne peuvent être saisis par ceux qui n’ont à donner au football que les paroles et les expériences du passé. A force de laisser faire cette catégorie de beaux parleurs, ils ont fini par croire qu’ils avaient raison. Un débat contradictoire est le seul moyen de remettre chacun à sa place réelle et, pour ce faire, il faut que les langues se délient, car il s’agit d’une responsabilité sociale qu’il faut assumer.

N. S.

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