28 octobre 2025

Moussouni : « Le bricolage et les intérêts personnels bloquent notre football » 

Dans cet entretien, l’ancien attaquant international Fouzi Moussouni livre une analyse sans concession du football algérien. Critique sur l’arbitrage, la violence dans les stades et gestion des clubs, il plaide pour une réforme structurelle, une formation rigoureuse et une égalité des moyens. Son credo : «Le football doit évoluer avec professionnalisme et justice !»

Entretien réalise par Nasser Souidi

En quoi la saison 2024-2025 est-elle différente de la précédente ? Qu’avez-vous retenu de cette dernière saison ?

Je ne vois aucune différence…

Et concernant la programmation, l’arbitrage…

L’arbitrage ? Il y a des fautes, mais parfois on voit de belles choses. Aujourd’hui, il y a des jeunes qui arbitrent, c’est une nouveauté, c’est bien, il faut leur faire confiance. Mais il faut plus que ça. Ce que je ne comprends pas, c’est que même avec la VAR, il y a toujours des erreurs d’arbitrage. Et ces erreurs, parfois, portent préjudice aux clubs. On l’a bien vu avec la JSK, trois ou quatre matchs, l’arbitrage était catastrophique. Il y a d’autres équipes aussi. Avec la VAR, même quand on fait des erreurs, c’est minime. Nous, on a fait beaucoup d’erreurs, même avec la VAR. Et pourquoi certains stades sont dotés de la VAR et pas d’autres ? Ce n’est pas normal, pourquoi ce deux poids deux mesures ? Et après, on s’étonne qu’il y ait une polémique là-dessus. Il faut être juste avec toutes les équipes, sans exception. Soit on l’a tous, soit on ne l’a pas tous. 

Et comment évaluez-vous le niveau actuel du championnat ?

On a le même niveau, parce que ça ne travaille pas. Et je ne parle pas des seniors. Ces dernières années, on n’a rien fait pour former des joueurs. Ce métier, il faut le faire avec amour, si on veut progresser et avancer. Et comme je vois, le bricolage est toujours là. Ce n’est pas normal que les saisons passent sans qu’on progresse. Si on veut développer le sport en Algérie, on doit tous viser un seul et même objectif, tous penser de la même manière, sinon, on ne peut pas avancer. Le monde a changé, le monde a avancé, les gens avancent.  Pourquoi ? Parce qu’on est trop individualistes. Il y a des anciens joueurs, anciens dirigeants, qui ne demandent qu’à travailler. En attendant, certains qui n’ont rien à voir avec la profession, détiennent le football en otage. Ce n’est pas normal. Où est l’Etat ? Où sont ceux qui sont censés contrôler ? Vous trouvez ça normal que ceux qui connaissent le football ne travaillent pas et ceux qui n’ont rien à voir avec ce sport, ce sont eux qui occupent les postes ? Que fait la presse qui est censée dire la vérité ? 

Pourquoi y a-t-il toujours autant de violence dans nos stades ?

Parce qu’on ne tranche pas, parce qu’on n’est pas assez sévères.

C’était comme ça à votre époque ?

Il y avait de la violence, oui, mais pas comme ça. C’était plus organisé, plus strict. La loi est trop souple, c’est pour ça que certains se permettent d’être violents. De nos jours, n’importe qui peut rentrer dans un stade. Mais quand tout est numérisé, et chacun son siège, si tu casses une chaise, tu la payeras. Et c’est valable pour tout le monde, sans exception.

Donc on peut dire que vous êtes pour le durcissement des lois contre la violence dans nos stades ?

Entièrement, mais à condition que cela s’applique de la même manière à tous les Algériens.

Selon vous, on aurait pu éviter l’incident du 5-Juillet ?

Bien sûr, mais il y a des normes à respecter. Je pense qu’il y a certaines choses à revoir dans nos stades, comme les issues de secours, les escaliers, les accès. Mais il faut aussi plus d’organisation, pour éviter les bousculades, les vols… etc.

Pourquoi les clubs algériens n’arrivent pas à s’imposer en Afrique ?

On n’est pas au même niveau que le Ahly, l’Espérance de Tunis, Sundowns, parce que si eux ils ont continué à travailler, nous, on a attendu les subventions. Nous, on ne travaille pas, on préfère placer telle ou telle personne. On se soucie plus des places que de développer notre football. Ce sont les intérêts personnels qui ont fait qu’on n’avance pas et qu’on reste en retard. 

L’équipe nationale vise un nouveau départ sous Petkovic. Vous y croyez ?

C’est ce qu’on souhaite, mais notre politique… ce n’est pas comme ça. On doit former, obliger les gens à travailler. On a un modèle concret, qui est le Paradou. Pourquoi les autres clubs ne font pas comme le Paradou, former des joueurs et d’ici trois à quatre ans, tu auras des Boulbina, des Attal, des Bensebaïni, et ainsi de suite. Avant, sans argent, on formait des joueurs, et aujourd’hui, avec des entreprises publiques, tu ne formes pas. 

La JS El Biar a raté de peu l’accession. Est-elle capable de passer ce cap ?

Avec le président Torki. El Biar a progressé, a accédé en Ligue 2, c’est une bonne chose. Mais tu risques de connaître le même sort que Ben Aknoun, car tu n’as pas de public. Même si la JSEB monte en Ligue 1, tout le monde supporte le Mouloudia à El Biar, ou le CRB et l’USMA. Quand tu affronteras le MCA, la JSK, le CRB, en aller-retour, tu auras un problème de public. La JSEB peut accéder en L1, mais elle dépensera beaucoup d’argent pour rien. 

Les clubs qui vous ont charmé cette saison…

Le Mouloudia, El Bayadh, qui a fait un bon retour, la JSK aussi a fait un bon retour. Saoura, Paradou. Le CRB a mal démarré mais a bien fini la saison. L’USMA a connu beaucoup de problèmes, mais a sauvé sa saison en remportant la coupe. Le CRB a le meilleur effectif en Algérie, et avec Ramovic, les choses se sont améliorées.

Quel jeune joueur algérien vous impressionne en ce moment ?

Personne ne m’a impressionné, mais il y a Boulbina qui a été régulier. Un bon milieu de terrain à Mostaganem, Akhrib et Berkane de la JSK, Bangoura, Benkhemassa et Benguit. J’aime le jeu simple et rapide, et pas de déchets.   

Qu’avez-vous à dire sur la cherté des diplômes…

Pour passer le CAF Pro, il te faut 140 millions. Et à quoi ça va te servir si tu ne travailles pas ? Il faut vraiment que Walid Sadi et les autorités trouvent une solution, et revoir les choses. Supposons qu’un entraîneur touche 50 millions, il peut se permettre de dépenser 20 millions pour un diplôme.

C’est quoi votre définition de la stabilité d’un club ?

C’est la stabilité des présidents, des dirigeants, des joueurs, des comités de supporters, c’est quand on fait les choses de manière organisée. Tu trouves ça normal que chaque saison tu changes de président, de dirigeants et de joueurs ? Au lieu de parler d’un projet à long terme de quatre ans, chaque six mois, il y a des changements partout. Même les gens, ils sont de plus en plus dégoûtés de s’intéresser au foot, à cause du bricolage. De nos jours, peu importe si le football se développe, pourvu qu’il y ait un salaire derrière. Et après, on me reproche de dire la vérité. Walid Sadi doit revoir tous ces paramètres, en son âme et conscience. Ceux qui sont morts dans nos stades et en déplacement, ce sont nos enfants à tous. Si tu ne me dis pas que je fais fausse route, comment veux-tu que je m’améliore ? Mais vous me direz, hier, ils n’avaient rien à voir avec le football, aujourd’hui, c’est eux qui le gèrent. Ce n’est pas normal. Mais tout le monde le sait.  

Selon vous, qui mérite le Ballon d’Or ?

Si ça ne tenait qu’à moi, je le donnerais à Yamal. Sinon, il y a Vitinha, avec le sacre du PSG. Mbappé et Vinicius n’ont rien fait cette saison. Ou Dembélé.

Le football italien retrouve-t-il son lustre d’antan avec l’Inter et le Milan ?

Non, je trouve que les Italiens régressent. Il y a le football anglais, espagnol, et un peu le football allemand.

Justement, pourquoi la Premier League est-elle plus compétitive que la Liga ou la Serie A ?

Parce qu’il y a de l’argent et de grands joueurs. Rien que les droits TV, ça rapporte des milliards. Et les gens sont sérieux dans leur travail. Les Anglais, ils ne plaisantent pas. Et pas uniquement dans le sport, dans tous les domaines. Là-bas, les gens ne cherchent pas uniquement un poste, ils travaillent. Nous, avec tous nos moyens, on n’avance pas, alors que dans certains pays africains pauvres, le football se développe. Et nous, on n’est pas capables de former ? Chez nous, on préfère importer des joueurs, parce qu’il y a de l’argent en jeu. Même pour nos équipes nationales U14 et U15, on ramène des joueurs de l’étranger, vous trouvez ça normal ?

N. S.

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