10 octobre 2025

Karim Benikene : « Imane Khelif est un guide pour la jeunesse algérienne »

Les avis divergent sur l’appréciation des derniers Jeux olympiques de Paris 2024, son contenu, ses performances et les valeurs qu’elle a transmises au sport mondial. Maître Karim Benikene, 6e Dan de judo, ex-champion d’Algérie, entraîneur 3e degré, athlète de haut niveau et dirigeant technique et sportif, nous donne dans cet entretien son regard objectif sur ces Jeux, tout en évoquant la situation du sport en Algérie, ses contraintes et ses défis futurs.

Quel est votre avis général sur l’organisation et le déroulement des Jeux olympiques de Paris 2024 ? Pensez-vous que l’événement a été à la hauteur des attentes ?

J’ai été vraiment déçu par l’état de la ville, l’hygiène et la cérémonie d’ouverture, que je pense, a été ridicule et en-deçà des attentes. Ça a laissé un arrière-goût négatif. Le contenu et les messages véhiculés à travers ces Jeux étaient orientés par la politique française. Je vais reprendre ce qu’avait dit un certain général vietnamien, un grand monsieur, le général Giap : «La France a toujours été un mauvais élève». La France a été hypocrite dans sa démarche, en sanctionnant la Russie et ses athlètes, car on a déroulé le tapis rouge à un autre pays qui est responsable de centaines de morts par jour.

Comment évaluez-vous le niveau mondial des athlètes lors de ces Jeux par rapport aux éditions précédentes ?

Depuis mon enfance, l’apothéose des Jeux olympiques a toujours été l’athlétisme. Mais l’athlétisme a perdu de son aura. Les précédentes éditions étaient marquées par les records mondiaux. D’après ce que j’ai vu, il n’y a que la perche qui a émergé du lot.

Comment jugez-vous les performances des athlètes algériens et africains ?

39 médailles pour l’Afrique, c’est pratiquement la récolte d’un des derniers pays d’Europe. Si on parle de l’Algérie, avec trois médailles, je suis vraiment déçu des déclarations officielles de la délégation algérienne qui parle de résultat historique, alors que ce n’est pas vrai. En 1996, nous avons pratiquement eu les mêmes médailles que maintenant. Nous sommes partis vingt-huit (28) ans en arrière. L’Afrique souffre et souffrira encore davantage, même en athlétisme, ses athlètes n’arrivent plus à s’exprimer.

D’après vous, quelles leçons les responsables du sport algérien doivent tirer des JO 2024 ?

Le sport, c’est la vitrine d’une nation. L’Etat algérien a mis les moyens en la personne du premier responsable du pays, donc la volonté, ne serait-ce qu’à ce stade au niveau de cette institution, a été claire. Maintenant, il reste que, et ce n’est un secret pour personne, la longévité de certaines personnes à des postes de responsabilité et de gestion du sport. Quand on a des gens qui restent, vingt, vingt-cinq, trente ans dans une Fédération, dans une Ligue, et même dans certains clubs et associations, il faut se poser la question. Je pense que le moment est venu de prendre le taureau par les cornes, et de mettre le sport à la place qui devrait être la sienne, en plaçant des hommes compétents, honnêtes et intègres, qui pensent à l’Algérie avant tout.

En Algérie, plusieurs disciplines sont ignorées, comme la gymnastique…

Est-ce que vous savez qu’en 1981, il y avait une école de gymnastique à Ksar El Boukhari ? Qu’est-ce qu’on en a fait ? Que sont devenus les jeunes talents qui pratiquaient là-bas ? Aujourd’hui, on appelle ça des disciplines mineures. Et pourtant, la première médaille obtenue par l’Algérie nous vient d’une discipline mineure ! Les disciplines qui bouffent de l’argent, telles que le football, n’ont pas été qualifiées aux JO. La prochaine saison, nous verrons encore que 70% du budget du ministère de la Jeunesse et des Sports iront au football.

Passons maintenant à votre discipline de prédilection, le judo. Comment avez-vous trouvé nos judokas à Paris ?

Aujourd’hui ont débuté les championnats d’Afrique de judo, cadet et junior, filles et garçons, à Yaoundé, et l’Algérie n’est pas présente ! La Fédération algérienne de judo avait projeté et prévu des médailles, on ne les a pas vus. Dans quatre ans, ce sont nos juniors qui sont censés aller aux JO 2028, donc déjà, au premier palier de leur vie de compétition, on les exclut. Ce n’est pas juste et ce n’est pas gentil.

D’après vous, quels sont les prochains défis du sport algérien ?

Je suis un enfant de la réforme et j’ai eu la grande chance d’avoir connu la réforme sportive en 1977 en Algérie. C’est une réforme qui a été menée par des hommes, à un niveau élevé de l’Etat, et qui avait donné des fruits et les exploits qu’on a connus. Nous en sommes toujours capables, mais ça passe par l’assainissement. Nous avons des valeurs, nous avons de très bons techniciens et de très bons gestionnaires, mais qui sont marginalisés et qu’on a mis à l’écart. Vous voulez un simple exemple, c’est l’entraîneur du tir sportif, un colonel à la retraite, à qui on a mis les bâtons dans les roues. On l’a bloqué et on ne l’a pas laissé aller aux Jeux olympiques…

La cassure, elle s’est faite à quel moment ?

J’assume mes responsabilités et j’assume ce que je dis. A un moment donné, les affairistes sont parvenus jusqu’aux commandes du sport, et le sport est depuis détenu par une petite mafia. C’est devenu le nombre de sorties à l’étranger, le copinage, et tout cela est allé à l’encontre des sportifs. Voilà.

Donc pour résumer, la participation de l’Algérie a été un échec, selon vous ?

Sincèrement, je pense qu’on a vraiment raté le virage. Je me rappelle, l’actuel président de la République avait pris un engagement particulier, parce que les Jeux se déroulaient à Paris. Donc politiquement, l’Etat a misé sur la participation algérienne aux Jeux olympiques de Paris. Je refuse d’imputer cet échec au COA, il n’est pas le seul responsable. Les Fédérations ont failli, parce que beaucoup de présidents ont bombé le torse et fait des déclarations à la télévision. C’est la plus mauvaise participation algérienne aux JO !

Vous n’y êtes pas allé avec le dos de la cuillère…

J’ai été élevé dans un milieu où l’Algérie était placée au-dessus de toute autre considération. Il y a un mal qui s’est installé. Dans un projet, chacun a quelque chose à apporter. L’Algérie a ses défauts et ses qualités, ses côtés positifs et ses côtés négatifs, mais on a le droit de s’exprimer et de dire ce que nous voyons. J’aurais aimé parler aussi de l’équipement. L’équipement, ça reflète un pays. L’Algérie est connue pour sa couleur verte. On parle des Verts. On a vu un équipement qui n’a rien à voir, ni avec nos traditions, ni nos valeurs, ni notre image. On doit se pencher sérieusement sur ça.

Malgré toutes ces vérités amères, est-ce que l’espoir est permis ?

Le sport algérien va se relever. Quand il n’y aura plus d’argent dans les tiroirs, ce jour-là, les vrais sportifs vont revenir et prendre en charge les choses. Aujourd‘hui il y a trop de vautours parce qu’il y a trop d’argent qui tourne. Je me rappelle d’un entraîneur que j’ai eu la chance de connaître en équipe nationale, vers les années 1984, Valeri Dvoinikov, c’est un médaillé olympique. Il a été très clair, il nous disait qu’on avait une grande chance en Algérie d’avoir la pâte. A notre époque, le sport scolaire, c’était le pourvoyeur des équipes nationales.

Vous ne trouvez pas que le cas Imane Khelif a démontré que la femme algérienne est forte et qu’on peut compter sur elle ?

La femme algérienne, dont ma mère, est une femme extraordinaire et exceptionnelle. C’est une femme qui prend en charge toute une famille. Sans elle, l’Algérie aurait déjà été brisé. La leçon Imane Khelif ? C’est une femme comme l’Algérie, qui s’est relevée après plusieurs chutes, et elle se relèvera encore davantage. Je suis content que les médailles aient été remportées par des filles. Elles ouvrent la voie, elles sont des locomotives. Imane Khelif sera une bonne maman inch’Allah. Cette championne est un guide pour la jeunesse algérienne. Ils n’ont qu’à suivre son exemple. Il faut serrer les dents et donner des coups à la vie…

Entretien réalisé par Nasser Souidi

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